Je suis au summum de ma fatigue émotionnelle, pourtant la journée ne fait que commencer. Toujours assise dans ma voiture, le niveau de chaleur a maintenant dépassé des sommets que même Pascal Yakovakis ne saurait pas décrire avec justesse.
J’incline le banc pour me donner une chance de prendre sur moi. J’ai mal au coeur. Le coeur gros comme ça se dit pas. Le spleen gangrené dans le creux de mon ventre. Je suis faite.
Je suis inclinée, donc, dans mon habitacle, le piton nostalgie à on. Ma petite voiture, ce haut lieu complice des confidences, des grands instants de silence, des chansons chantées sans vraiment trop savoir toutes les paroles, des fenêtres baissées à manivelle, de cheveux au vent et de cuisses collantes, parce que l’air climatisé, en option, ça coûte quand même cher.
Je me mets à rire.
Je repense à une immense engueulade que j’ai eue avec Catherine dans ce même deux mètres carrés, à notre retour de Wells l’an passé. Je repense à toute cette escapade en fait.
C’est peut-être parce qu’il y a presque autant de choses packtées, que je m’y replonge, ou juste parce qu’aujourd’hui j’ai besoin de me raccrocher à ces souvenirs. Toujours est-il que je la revois, nous organiser ça, ce bel itinéraire-là, pis c’te belle vacance-là, pis ça me fait sourire de nous revoir dans ma tête.
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C’est une de nos bonnes idées cette fin de semaine à Wells. Une idée très originale que d’y passer le week-end de la fête du Travail. Nous souhaitions, bien humblement, étirer l’été encore un peu, tout en se badigeonnant allègrement de monoï « véritable » acheté en rabais chez Yves Rocher. Surtout, nous souhaitions le faire en même temps qu’absolument toutes les autres québécoises du monde !
Notre plan : passer l’entièreté de notre temps sur la plage et le moins possible dans la chambre de notre motel. Un lieu bucolique dont j’oublie malheureusement le nom mais qui se situe dans le champ lexical de sea-beach-side-sunshine-waves-Inn (ou tout autre nom cousin).
Le soir, j’installe nos serviettes de plage sur l’édredon et je garde mes bas pour dormir. Notre première matinée, excitée comme des enfants, on part à la recherche d’un petit café pour prendre le déjeuner. C’est là qu’on trouve un petit restaurant, de style dinner, qui nous remplit la panse juste comme il faut d’un bagel déjeuner et d’un bon café.
Sur le chemin de la plage, on déguste ce qu’on qualifie de “la meilleure clam chowder” jamais goûtée. On la mange chaque jour et on s’émerveille devant les vrais bateaux de pêcheurs qui nous entourent et la beauté de ce lieu touristique sans précédent. On dirait qu’on n’est jamais sorti. C’est presque gênant.
Pour le reste, on est sur un budget serré. On vit d’hummus, de carottes en sacs et d’eau fraîche, sans se faire prier. Notre portefeuille nous permet toutefois de se payer une bouteille de vin blanc Cupcake, laquelle on boit en incarnant la bourgeoisie.
Sur la plage, on installe nos serviettes - exactement celles sur lesquelles nous dormons la nuit - entre les parasols et les tentes uv des autres qui sont arrivés encore plus tôt que nous.
Catherine pousse un soupir.
- Ciboire y’a du monde !
Ça sort fort et assertif, mais c’est semi-assumé. Ce n’est pas elle de parler fort et de se donner l’air de vouloir faire rire. Elle le fait pour moi, je suis un très bon public.
- Envowe la grosse, viens mettre ton monoï !
Elle porte son bikini citron avec une culotte noire taille haute. Ça revient à la mode, apparemment. On se trouve tellement cool. On a 25 ans. On mange des carottes et de l’hummus en fumant des Malboro, sur la plage, à Wells.
Je la trouve tellement cool. J’admire sa dégaine et sa capacité à assumer ce qu’elle est, sans détour.
Elle a acheté un appareil photo jetable, pour l’anticipation de découvrir des photos dont on ne se souvient plus vraiment. Des photos avec un vrai grain dans l’image, mais sans y avoir mis de filtre.
L’idée est quand même plus touchante que le résultat.
Vingt-quatre photos assez quelconques : la plage à marée basse, dont on ne voit pas la mer parce qu’elle est trop loin, la plage à marée haute dont la vague touche presque les serviettes, plusieurs natures mortes de nos différents setup de plage avec, en évidence, nos victuailles pas fancy et une bouteille de blanc californien- la moins chère idéalement-, notre chambre de motel, dans ses moindre détails laids et des selfies ratés avec un doigt dedans. Quelconques, je disais.
Il y en a un bien une, par contre, qui sort du lot : nous deux.
Le soir, quand on s’étend sur le lit de notre chambre brune des murs jusqu’aux couvertures, brûlées vives par le soleil et enduites d’aloes vera jusqu’en dessous de nos bas, je m’endors, comme je le fais souvent, depuis qu’on se connait :
- Cath, peux-tu me raconter quelque chose?
- Genre quoi?
- N’importe quoi, c’que tu veux…
C’est ça l’amitié j’imagine, s’endormir dans le refuge d’une histoire toute simple racontée une amie.
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